Un couvent Baroque sur le Cours Mirabeau : le Carmel d’Aix-en-Provence
Fondation, fondateurs et approche monumentale
« Il est des lieux où souffle l’esprit… Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieusei ». A Aix-en-Provence, le couvent des Oblats de Marie fait partie de ces lieux méconnus qui allient profondeur historique et spiritualité. L’année 2016 a été marquée par la commémoration du bicentenaire de la congrégation des Missionnaires de Provence, devenus aujourd’hui Oblats de Marie Immaculée, communauté à l’envergure internationale dont le berceau n’est autre que l’ancien carmel de la capitale provençale. De multiples manifestations, nourries par un soubassement documentaire particulièrement riche et des travaux universitaires diversifiés permettent, sur le lieu même de la fondation de la communauté, de rendre un vibrant hommage aux grandes figures, ecclésiastiques comme laïques qui ont pris part au développement et à l’Histoire de l’ordreii.
Congrégation assurément aixoise, les Missionnaires de Provence ont pourtant pris possession des décombres d’un ensemble conventuel pluriséculaire, particulièrement prestigieux, et dont l’histoire se mêle à celle de la ville d’Aix et de la Provence. Il s’agit de l’ancien couvent des Carmélites d’Aix, dont les occupantes et les grandes heures ont été éclipsées par deux siècles d’une pratique religieuse missionnaire aussi dynamique que renouvelée.
Le présent article, rédigé à l’aune des dernières découvertes liées à la vie du couvent avant sa dissolution, n’a pas la prétention de restituer de manière chronologique et linéaire les trois siècles de vie religieuse et communautaire qu’il a pu abriter. Il nous a paru pertinent, en contrepoint de la mise en lumière du parcours d’Eugène de Mazenod et de ses premiers disciples qui est proposée cette année, d’examiner la figure d’Aymare de Castellane, fondatrice du couvent, ainsi que l’environnement humain, social et artistique du Carmel d’Aix jusqu’à son extinction. Car si l’ancienne chapelle du couvent, de nos jours dite « église de la Mission », a déjà bénéficié de brillantes études, tant par Jean Boyeriii, que Jean-Jacques Glotoniv et Bertrand Jestazv, l’ensemble conventuel attenant n’a en revanche suscité aucune étude poussée jusqu’à présent. C’est dans la perspective d’identifier fondateurs, commanditaires, artistes et décors et de contribuer à leur connaissance que nous proposons cette étude.
Aymare de Castellane (1600-1649) : genèse et réseaux d’une fondatrice
Fondatrice du couvent des Carmélites d’Aix-en-Provence, la figure de la Présidente de Forbin d’Oppède, née Aymare de Castellane, apparaît comme essentielle. Née en 1600 dans le château d’Ampus (Var)vi, Aymare de Castellane est le fruit de l’union de Jean de Castellane-La Verdière (1576-1631), seigneur de la Verdière, Saint-Martin-de Pallières, Comps et Jouques, et de Marguerite de Castellane-Esparron, dame de Saint Julien et demoiselle d’Esparron de Verdonvii. Deux des branches de la plus importante famille de Haute-Provence depuis l’époque médiévale s’alliaient ainsi pour former une descendance aux fiefs, au prestige et au patrimoine foncier considérablesviii. Les premières années de la jeune Aymare sont encore particulièrement obscures. Tout au plus pouvons-nous l’imaginer se partager avec ses parents entre la ville d’Aixix où sa famille évolue partiellement dans l’entourage du parlementx et les châteaux familiaux, notamment ceux de la Verdière et d’Esparron de Verdon, dont une campagne de travaux importante est attestée en 1587xi sous l’égide de son grand-père maternel, Pierre de Castellane (+1606). Dans les mêmes bornes chronologiques la Maison de Castellane jouit d’un crédit renouvelé, notamment par son alliance avec la famille de Grignanxii, dont le train de vie fastueux et les ambitions sociales résonnent encore à travers les célèbres échanges épistolaires de la Marquise de Sévigné dont le gendre était François Adhémar Castellane de Monteil de Grignan (1632-1714), Lieutenant Général de Provence.
« Femme remarquable par sa grande piétéxiii », elle fut mariée à l’âge de treize ans à Vincent-Anne de Forbin (1579-1631), le 29 décembre 1613 au château de la Verdièrexiv, en promettant tous les deux « de se prendre en mariage, de l’y solenniser en la face de la sainte mère l’Eglise Catholique apostolique et romaine, ainsi qu’il est de coutume entre fidèles chrétiensxv ». Le couple occupera à Aix-en-Provence le sommet de l’échelle parlementaire, grâce aux fonctions politiques de Vincent-Anne de Forbin qui se verra octroyer les fonctions de Président à mortier du Parlement dès 1615, puis celles de Premier Président du Parlement de Provence en 1621xvi. C’est sous cette responsabilité qu’il s’illustrera avec panache, non seulement lors de la fameuse révolte des Cascaveousxvii, mais aussi lors de la funeste épidémie de peste de juillet 1629 où il prend la décision de rester dans la ville d’Aix avec son épouse alors que l’épidémie fait ragexviii. En moins de dix-huit années de mariage, ce prestigieux couple donna naissance à douze enfants, dont trois furent mariés à d’autres grands noms de Provence. Son fils ainé, Henri, s’alliait en 1637 avec Thérèse de Pontevèsxix, issue de l’une des plus fameuses lignées de la noblesse d’épée provençale, tandis que deux de ses sœurs cadettes, Claire-Françoise et Madeleine de Forbin, épousaient respectivement Gaspard Covet de Marignanexx et Vincent Boyer d’Eguillesxxi, parlementaires issus de familles de noblesse récente mais dont l’emprise financière et les réseaux politiques étaient majeurs.
On rappellera à ce titre l’importance de ces deux dernières figures dans la Provence baroque. Vincent Boyer d’Eguilles (1618-1659) était par sa mère le neveu du célébrissime poète François de Malherbe (1555 – 1628), protégé d’Henri IV et de Catherine de Médicisxxii. Il en devint l’héritier universel lorsque le père de son beau-frère, Jean-Baptiste de Covet-Marignane (+1635), tua à Cadenet, lors d’un duel spectaculaire avec le concours de Paul Fortia des Piles (1600-1682), le fils unique du Grand Malherbe, Marc-Antoine de Malherbe (1600-1627)xxiii. L’année 1600 voyait donc la naissance dans la noblesse aixoise d’une mère de famille devenue fondatrice de couvent et admirée pour ses vertus, et celle de deux gentilshommes « à la folie belliqueusexxiv » dont le nom reste entaché d’une macule indélébile. Deux des fils d’Aymare de Castellane et de Vincent-Anne de Forbin retiendront de surcroît tout particulièrement notre attention.
D’une part, la figure d’Henri de Forbin d’Oppède (1620-1671), dont le portrait peint par Mignard est aujourd’hui exposé au Musée Calvet d’Avignonxxv apparaît comme centrale. Premier Président au Parlement de Provence à l’instar de son père, il jouera un rôle incontournable lors de la Frondexxvi et dans l’administration de la Provence dans le troisième quart du XVIIe siècle. Son rayonnement politique sera exceptionnel dans la Provence du Roi Soleil. Il exercera non seulement les fonctions de Lieutenant Général commandant la Provence en l’absence du gouverneur et du conseiller d’Etatxxvii, mais cet « honnête homme » à la fois mécène prodiguexxviii et administrateur confirmé se distinguera aussi par l’ampleur de ses réseaux dans lesquels il a le privilège de compter, parmi bien d’autres, Colbert, Mazarin et Loméniexxix.
D’autre part, on ne peut passer sous silence son second fils, Louis de Forbin d’Oppède (1622 – 1675). Né lors du passage de Louis XIII à Aix-en-Provence, alors que son père était Premier Président au Parlement de Provence, ce jour de naissance lui valut d’être le filleul du roi Louis XIII en personne après un baptême célébré en grande pompe dans la cathédrale Saint Sauveurxxx. Conditionné par ce parrainage royal, véritable grâce, il mènera une prélature particulièrement fameuse qui le conduira jusqu’au siège épiscopal de Toulonxxxi qu’il administrera brillammentxxxii.
La dispersion des collections mobilières des Forbin d’Oppède non seulement lors de la vente du mobilier du château de la Verdière pendant la tourmente révolutionnaire, mais aussi pendant la seconde moitié du XXe sièclexxxiii, n’a pas permis d’identifier pour l’instant un portrait représentant Aymare de Castellane conservé par la famille, alors que ceux représentant son épouxxxxiv, mais aussi son fils Henri nous sont connusxxxv.
Un portrait mérite d’être toutefois convoqué compte tenu des interrogations qu’il suscite. Il s’agit d’un portrait aujourd’hui conservé dans les réserves du musée Calvet d’Avignonxxxvi, acquis en 1837. Les traditions artistiques qui entourent ce tableauxxxvii, longtemps salué par la critique comme un excellent morceau de peinture, « un tableau que le Louvre serait jaloux de posséder et qui réunit l’intérêt artistique à l’intérêt historiquexxxviii », le faisaient passer pour celui « d’une Marquise de Forbin abbesse d’un couvent d’Aix-en-Provence ». La mention « AET(atis) suae 8(4 ?) Anno 1644. Lenain f » nous indique que le sujet était vraisemblablement âgé de 84 ans en 1644. Aujourd’hui, la critique porte un crédit très modéré à l’attribution aux frères Lenain, qui ferait de ce tableau « une copie ancienne où l’inscription et la signature auraient été soigneusement reportées »xxxix. La sévérité d’un visage strict alliée à un souci de vraisemblance manifeste rendent compte d’une austérité assurément conventuelle : « ce n’est pas l’attrait qui distingue cette figure (…) l’artiste s’est mis en présence de son modèle et l’a peint tel qu’il était, dans sa sévère vérité (…)xl ».
Plusieurs inexactitudes et incohérences apparaissent quant à ce portrait. En premier lieu, l’attribution à une « Marquise » apparaît comme fautive puisque ce titre est incompatible avec les porteurs du nom en 1644. Chez les d’Oppède, Vincent-Anne de Forbin était en effet doté de l’antique titre de baron d’Oppède conformément aux conditions drastiques édictées par Jean Maynier dans son testament du 20 septembre 1546xli. Chronologiquement, les dates ne peuvent correspondre en second lieu de manière plausible à aucune représentante de la famille et un examen approfondi de la généalogie familiale ne permet pas de faire pencher la balance vers un membre de la famille plus que vers un autre. Toutefois, plusieurs observations méritent d’être convoquées. L’année 1644, date prétendue de l’exécution de ce portrait, est une date où Aymare de Forbin d’Oppède est bien supérieure du couvent des carmélites d’Aix puisqu’elle ne s’y éteindra qu’en 1649. Elle n’atteindra toutefois pas l’âge de 84 ans puisqu’elle était née en 1600. En revanche, l’une de ses filles sur laquelle nous reviendrons, Marguerite, en religion Marguerite des Anges, est décédée dans ce même couvent à l’âge de 88 ansxlii. Sommes-nous face à une légende postérieure qui, lorsqu’elle fut rajoutée, a donné à un portrait d’Aymare de Castellane l’identité de sa fille ? Pouvons-nous envisager une confusion entre Aymare et Marguerite de Forbin ? Seul le chiffre 8 figurant sur la légende diffère de la légende qui aurait pu orner le portrait d’Aymare de Castellane, âgée non pas de 84 ans mais de 44 ans en 1644. La piste d’Anne et Marthe de Forbin-La Fare, filles de Claire de Pérussis et religieuses carmélites dans les mêmes bornes chronologiquesxliii, peut être évoquée par ailleurs comme potentielle. La question reste donc entière mais nous avons jugé bon, dans l’historiographie actuelle de ce tableau dit « d’une marquise de Forbin abbesse d’un couvent d’Aix » à l’attribution encore controversée, de mentionner cette hypothèse inédite.
La fondation du couvent des Carmélites d’Aix-en-Provence
La fondation du couvent des Carmélites d’Aix nous est connue par la description que le dernier représentant de la famille, Palamède de Forbin d’Oppède (1816-1900) a pu retranscrire et les divers récits notamment rassemblés dans la monographie du château de la Verdière publiée en 1880. La création d’un carmel à Aix semble avoir été conditionnée au zèle religieux déployé par le couple Castellane-Forbin que nous venons de présenter : « Le premier président Vincent-Anne de Forbin (…) d’accord avec sa pieuse femme Aymare de Castellane, désirait attirer les carmélites dans la capitale de la Provence. Depuis dix ans déjà il sollicitait le cardinal de Bérulle d’accéder à ses vœux, lorsque le 4 septembre 1625, il triompha des derniers obstacles ». Le rayonnement politique de Vincent-Anne d’Oppède n’est certainement pas étranger aux échanges qui unirent son épouse au Cardinal de Bérulle dont des échanges épistolaires nourris sont attestésxliv.
Nous mentionnerons aussi les relations privilégiées avec l’ordre du Carmel que Claire de Pérussis (1560-1628), mère de Vincent de Forbin et belle-mère d’Aymare de Castellane, avait développées en fondant personnellement le couvent des Carmélites d’Avignon en 1613xlv. Fondatrice d’une communauté à Annecy ainsi que le couvent des Pères de l’Oratoire à Aix-en-Provencexlvi, l’épouse de Jean de Forbin-La Fare (1550-1598), premier consul de la ville d’Aix en 1590, s’était retirée à Avignon – cité où la famille Maynier dont elle descend, détentrice de la seigneurie d’Oppède, est attestée depuis le XVe sièclexlvii – pour y former une communauté où elle s’éteignit avec deux de ses fillesxlviii. Un portrait de Claire de Pérussis, abusivement « restauré », est également conservé dans les réserves du Musée Calvet d’Avignonxlix. Il offre un éclairage fugitif sur celle qui fut vraisemblablement un modèle et une référence pour Aymare de Castellane qui adoptera la même démarche que sa belle-mère et ses deux belles-soeurs, en entrant à son tour au carmel elle aussi avec deux de ses filles.
En 1625, la fondation du Carmel d’Aix est initiée sous l’égide d’Aymare de Castellane. C’est une religieuse qui n’a connu que la vie régulière qui descend en Provence pour prendre en charge l’établissement de la communauté naissante : « La révérende Mère Thérèse de Jésus, professe du monastère de Paris, alors prieure de celui de Marseille, partit de ce couvent avec plusieurs de ses compagnes, pour aller former le nouveau couvent à Aix ».
La cérémonie de fondation, menée avec une pompe peu commune, ne peut que nous faire penser au rituel des entrées solennelles organisées aux XVIIe et XVIIIe sièclesl ; cortèges dont les modalités, le parcours et l’organisation semble analogue. Célébration privilégiée par les autorités politiques et ecclésiastiques de la ville d’Aix, la fondation d’une communauté de carmélites à Aix a donné lieu à une procession importante et à une liturgie aussi élaborée qu’extraordinaire dont l’importance est suggérée par la rareté de l’évènement : « Madame la première présidenteli, accompagnée des principales dames de la ville, alla à une demi-lieue au-devant de la révérende prieurelii, et la fit descendre à Saint Sauveur, église métropolitaine, où elle fut reçue par tout le clergé. Monseigneur l’archevêque étant absent, monsieur le Prévôt harangua la mère prieure. La vénérable mère répondit avec tant de dignité, que toute l’assistance en fut dans l’admiration. Les religieuses furent conduites au pied du maître autel, au bruit harmonieux des orgues et du Te Deum, les cloches sonnant comme aux jours de grandes fêtes. Ces pieuses filles complétèrent avec dévotion les saintes reliques, qui avaient été exposées en leur faveur ; puis elles sortirent deux à deux en procession, et une multitude d’habitants les conduisirent à la maison qui leur était destinée. Les dames et la musique entrèrent jusqu’à la salle préparée pour la chapelle où, après avoir chanté le Laudate, les religieuses se retirèrent dans leurs cellules. Cinq jours après, à la fête de l’exaltation de la Sainte Croix, on exposa le Saint Sacrement, et l’on prit solennellement possession du monastèreliii ».
Le couvent des Carmélites n’était pas encore totalement né. La prise de possession de l’actuel emplacement du couvent n’a lieu que trois ans plus tard, lorsque la communauté, ayant toujours pour sponsor principal Aymare de Forbin d’Oppède, finance l’acquisition d’une maison et d’un ensemble de terrains appartenant à un parlementaire aixois. De nombreux historiens ont souvent fait référence à la famille de Génas, qui possédait cette portion de l’actuel quartier Mazarin, où un pin de funeste mémoire avait servi de gibet à de multiples protestants au XVIe siècleliv. Or, entre les Génas et les Carmélites, c’est bien la famille Saurat qui est propriétaire des terrains où se déploie aujourd’hui le couvent. Nous en trouvons la preuve dans une minute du 11 avril 1628 du notaire Boniface Borilly à Aix : « M. Saurat secrétaire du Roy vendit aux religieuses Carmélites pour le prix de 45000 livres la plus grande partie des bâtiments et terrains qu’elles possèdent aujourd’hui et entre autres choses, les eaux de la fontaine dérivant par aqueducs depuis la porte Saint Louis jusques à la muraille de la ville proche le logis de la Mule Noire et par borneaux depuis ladite muraille jusques dans lesdits bâtiments et terrainslv ».
La famille Saurat, jusqu’ici occultée par les différentes études consacrées au Cours Mirabeau et au couvent des Carmélites, est pourtant particulièrement importante puisqu’elle joue alors un rôle de premier plan dans le milieu du négoce et de la bourgeoisie aixoise, où elle s’illustre, comme le feront très exactement les Mazenod un siècle plus tard, dans le commerce de la droguerielvi. Elle l’est aussi en très grande partie par l’alliance que le richissime Pierre Maurel de Pontevès, dit « Crésus de Provence » et bâtisseur de l’hôtel éponyme qui fait figure d’exception par son opulente façade sur le Cours Mirabeau, contracte le 10 octobre 1622 avec Claudette Saurat, fille de Claude Saurat et de Sibille Brignollelvii. C’est ce même Claude Saurat qui sera le vendeur des parcelles de l’actuel couvent, dont les conditions matérielles apparaissent comme précaires, les locaux n’ayant pas initialement l’affectation d’un couvent : « Trois ans après, les religieuses achetèrent une maison, au faubourg Saint Jean hors de la ville. Elles ornèrent de leur mieux la chapelle provisoire, et le dimanche 21 août 1628 fut fixé pour leur translationlviii ».
Cette translation, assurée avec tous le moyens et les fastes de la fondation première, constitue un moment clef dans la mesure où c’est par cet évènement que le destin d’Aymare de Castellane et de l’une de ses filles se lie à jamais à celui du Carmel d’Aix : « la veille, Monsieur le premier Président d’Oppèdelix fit prescrire à son de trompe, qu’on eût à tapisser les rues comme au jour de la fête Dieu. Le lendemain, à huit heures du matin, les religieuses furent conduites par Madame la première Présidente et les principales dames de la ville, en carrosse, jusqu’à la place de l’église Saint Sauveur, où elles entrèrent processionnellement. La Mère Prieure tenait par la main Mademoiselle d’Oppède, âgée de dix ans, qui fut depuis carmélite. L’affluence était si grande dans la nef de l’église, qu’il fallut des archers pour préparer le passage et maintenir l’ordre ; on chanta la grand’messe, on exposa le Saint Sacrement, et, après la messe, ont fit la procession. Les chanoines suivaient les religieuses, la musique et les trompettes accompagnaient le Saint Sacrement ; Messieurs du Parlement, en corps et en grande cérémonie, formaient cortège au dais. Monsieur le Duc de Guise, alors gouverneur de Provence, venu exprès de Marseille pour assister à la procession, la rencontra sur la place des Prêcheurs, où il prit place dans les rangs de la magistrature. Arrivé à la place Saint Jean, les ordres religieux se rangèrent en haie, et les religieuses se jetèrent à genoux devant la porte de leur monastère. Monsieur le Prévôt leur donna sa bénédiction avec le Saint Sacrement, et elles entrèrent ensuite dans leur maison, tout fut fini à midilx ». Une telle manifestation, religieuse par essence, devenait ainsi un évènement politique et social majeur qui associait non seulement la multitude, mais aussi les élites de la capitale provençale et de la plus haute noblesse de pouvoir, comme le suggère la présence d’un membre de la maison de Guise. La venue de personnalités de grand renom dans le couvent des Carmélites est attestée au cours des siècles suivants. On possède notamment à son égard un témoignage touchant de Madame de Montpensier, petite-fille d’Henri IV, daté de 1660, année qui verra le séjour de Louis XIV à Aix : « La cour étoit à Toulon lorsqu’elle apprit la mort de Monsieur; c’étoit les derniers jours de carnaval, dont les plaisirs cessèrent. Le roi fit le chemin qu’il avoit résolu; puis revint à Aix. Pendant tout le temps que j’y restai en leur absence, il faisoit assez beau; j’allois me promener hors la ville, étant une chose très-désagréable d’être toujours dans les chambres tendues de noir. Je fis faire un ameublement gris: c’est le premier qui ait été fait [pour une fille]; car jusqu’alors il n’y avoit eu que les femmes qui en eussent eu [pour le deuil] de leurs maris; mais comme je voulois porter le deuil le plus régulier et le plus grand qui eût jamais été, je m’avisai de cela. Tout étoit vêtu de deuil, jusqu’aux marmitons et les valets de tous mes gens, les couvertures de mules, tous les caparaçons [de mes chevaux] et de mes sommiers. Rien n’étoit si beau, que la première fois que l’on marcha, de voir tout ce grand équipage de deuil: Cela avoit un air fort magnifique et d’une [vraie] grandeur. On dit que je l’ai assez à toute chose. Pendant donc que j’étois à Aix, je me promenois; mais la fin de nos promenades aboutissoit toujours à quelque couvent. J’allois souvent aux Carmélites, et ce fut là que je fis faire un service pour Monsieurlxi ».
La Mère Marguerite des Anges, relais familial au sein du Carmel
A l’instar de Claire de Pérussis, Aymare de Forbin d’Oppède n’entre pas seule au couvent. Sa fille ainée d’une part, déjà placée chez les religieuses depuis l’âge de huit ans, très vraisemblablement dans le carmel provisoire, l’accompagne. Sa vie religieuse, aussi édifiante que longue, participe à en faire une religieuse incontournable dans le Carmel d’Aix au XVIIe siècle. Palamède de Forbin d’Oppède lui consacre un passage particulièrement complet dans la monographie du château de la Verdière, où il suggère avec emphase la profondeur spirituelle de sa parente et l’importance qu’elle sera amenée à jouer auprès de la communauté d’Aix : « La jeune enfant de dix ans, que la Mère Prieure tenait par la main, devint la sœur Marguerite des Anges. Elle était, dit la Chronique, une règle vivante et un modèle de vertu. Fille ainé de la Présidente, morte en odeur de sainteté, elle avait été reçue aux carmélites à l’âge de huit ans, et, par la permission de Monseigneur le Cardinal de Bérulle, novice d’abord au couvent d’Arles, elle fit profession au couvent de Lyon et devint ensuite prieure de celui d’Aix. Elle y commença avec une ardeur angélique cette longue et pénible carrière qu’elle a si heureusement et si saintement terminée, par la grâce et la miséricorde de Jésus-Christ. On la jugea capable de remplir les charges de maîtresse des novices, de première dépositaire, de sous prieure et prieure. Elle montra dans tous ces différents emplois une égalité d’humeur inaltérable, surtout dans les contretemps les plus fâcheux ».
Sa pratique religieuse, teintée par la dévotion ardente du Grand Siècle, offre un éclairage intéressant sur les mentalités et les usages liturgiques des premières carmélites aixoises : « Elle avait une piété tendre et affectueuse qui la portait à honorer tous les mystères du Sauveur, mais surtout la sainte Enfance. On la voyait fondre en larmes dans la retraite qu’elle faisait durant les quarante jours où l’on adore Jésus naissant dans la crèche. Son esprit de pénitence était si fervent, que la seule obéissance aux ordres des supérieures y pouvait mettre des bornes, et dans sa vie innocente, elle se croyait plus grande pécheresse et se regardait souvent comme l’enfant prodigue qui retourna à son père après avoir dispersé tous ses biens, se comparant à cette fille de l’évangile dont Notre Seigneur dit qu’elle n’était pas morte, mais qu’elle était endormie. « Je dois dire aussi, ajoutait cette chère défunte, que dors en moi-même et me repose sur le lit de mes passions. Demandez donc à Dieu, mes sœurs, qu’il me réveille, de peur que je ne m’endorme de ce sommeil dont parle le prophète, qui conduit à la mort éternelle ». On trouvait surtout en elle un riche fonds d’humilité, qui lui faisait cacher sous le voile du silence toutes les vertus qu’elle n’était pas obligée de faire paraître au dehors, pour l’édification du prochain. D’un esprit très solide et d’un cœur tendre et charitable pour tous les malheureux, sa plus grande satisfaction consistait à les obliger. Animée d’une singulière dévotion à la Très Sainte Vierge, à Saint Joseph, à Sainte Thérèse dont elle possédait l’esprit et les maximes, elle faisait la consolation de ses prieures et leur était soumise entre toutes choses. Elle a eu aussi beaucoup de respect et de confiance à sa bienheureuse mère qu’elle a eu le bonheur de connaître particulièrement. Un mal très considérable lui étant survenu à une jambe, où la gangrène commençait à se former, la Mère prieure lui conseilla de s’adresser à cette bienheureuse servante du Sauveur, et après avoir pieusement accompli cette recommandation, elle fut parfaitement guérie. Enfin, comme une vierge sage et prudente, la Révérende Mère Marguerite des Anges, sans cesse préoccupée de l’arrivée de son époux, prépara sa lampe, l’orna de toutes les vertus et fit une bonne provision d’huile de la charité ; car, son grand âge et ses fréquentes infirmités ne lui permettant plus de travailler des mains, elle s’occupait davantage à prier, à lire et à méditer. On la trouvait toujours dans sa cellule, lorsqu’elle était obligée d’y rester, un livre à la main ou écrivant quelques sentiments de piété pour nourrir son âme. Aussi a-t-elle toujours conservé une ferveur admirable, capable d’instruire et confondre les plus jeunes novices. Sa dernière maladie a été une suite de longues infirmités, au milieu desquelles elle a fait paraître autant de douceur que de patience et d’amour. Elle a eu la consolation de recevoir, en pleine connaissance et avec les plus vifs sentiments de dévotion, le corps de Jésus-Christ en viatique. Ce fut entre onze heures et minuit, le 4 mai 1707, que la belle âme de Marguerite des Anges quitta son enveloppe mortelle pour s’envoler à Dieu. Elle était âgée de quatre-vingt-huit ans, et en avait passé quatrevingt en religion ». Un tel parcours semble sans exemple dans le monde conventuel aixois. Il est révélateur des ambitions religieuses de la famille de Forbin d’Oppède, dont la présence, sur près d’un siècle dans le couvent à travers ses différents membres, la rend indissociable de l’Histoire de cette fondation religieuse.
Cette présence continue a été assurée d’autre part par une fille cadette d’Aymare de Forbin d’Oppède, dont l’engagement, compromis par des raisons médicales, n’a pas été exclu pour autant par Palamède de Forbin d’Oppède. Portant le prénom de Thérèse à l’instar de la dédicace de la chapelle du couvent, elle aura eu un parcours communautaire plus difficile : « Elle avait une sœur cadette, Thérèse de Jésus-Maria, qui entra également au couvent des Carmélites à l’âge de douze ans. Sa mère, la trouvant trop jeune, voulut s’assurer de sa vocation. Elle la fit sortir du monastère, mais, à peine rentrée dans le monde, elle devint paralytique. Aucun remède n’ayant pu la soulager, sa mère fut une neuvaine à la Sainte Vierge, à lui elle promettait de rendre son enfant, si après la guérison elle persistait dans sa vocation religieuse. La jeune malade revint à la santé et, malgré le goût qu’elle commençait à sentir pour le monde, elle rentra dans le monastère avec le plus grand empressement. Sa santé se soutint pendant son noviciat, mais elle tomba de nouveau dans de continuelles infirmités plus attristée de ne pouvoir suivre la règle de son couvent que la crainte de la mort. Elle devint hydropique, et avertit ses compagnes qu’elle allait rentrer en agonie. Elle mourut à vingt-deux ans, ayant passé dix ans dans son couvent, moins heureuse que sa sœur qui en avait passé quatre-vingts ».
Aujourd’hui, seul le souvenir d’Aymare de Castellane perdure véritablement dans les quelques rares sources documentaires intéressant le couvent des carmélites d’Aix. Sa figure semble avoir pris le dessus sur les personnalités attachantes de ses deux filles. Cette réputation fameuse semble s’être diffusée très tôt, dans la mesure où Pierre d’Hozier convoque déjà Aymare de Forbin d’Oppède et l’agrège à la liste des Saintes de la Noblesse de Provencelxii.
Ambitions architecturales et inscription urbaine depuis la fondation
La connaissance du couvent des Carmélites lors de sa fondation nous est connue par les rapports qui ont tantôt uni, tantôt opposé, la communauté des religieuses aux consuls d’Aix-en-Provence dont l’administration et les contraintes urbanistiques ont été source d’échanges épistolaires et de requêtes officielles que les archives communales d’Aix abritent encore. Inès Castaldo a brillamment montré les importantes contestations fiscales formulées par les carmélites d’Aix dès 1649 au sujet de la taxation de leurs bâtiments conventuelslxiii, et la connaissance et la restitution schématique du couvent lors des premières années de sa fondation nous est possible par l’examen des échanges, demandes d’autorisation et concessions octroyées aux religieuses par la ville.
Le 16 juin 1629, plus d’un an après l’acquisitionlxiv de la parcelle du couventlxv, il est en premier lieu donné autorisation aux carmélites « d’abattre la muraille qui fait l’enclos de leur jardin et de la maison qui mesurait 7 pans de hauteur ». Il leur est toutefois interdit d’exhausser les murs de clôturelxvi mais octroyé, compte tenu de la donation de leur fontaine à la ville d’Aixlxvii, la permission de créer un perron devant leur chapelle – aujourd’hui disparue – et de restructurer leurs bâtiments conventuels : « Lesdites dames religieuses d’avancer le perron de leur église et leurs batiments à l’alignement des maisons des sieurs Perrin et Gassendi ce qui était considérable par a port à la valeur des versures qui étaient payées au-delà de leur juste valeur. (…) et des autres maisons que ledites religieuses ont et possèdent vers l’endroit ou était la vieille fontaine, lequel alignement sera tiré jusques au nouveau coin que ledites religieuses feront faire sur la ligne de la fassadetant du coté du cours que de celuy de la rue Saint Jean pour raison duquel alignement elles feront abbatre le coin de leur ancienne maison qui est vis à vis la chapelle notre dame d’Ambrun pour l’agrandissement de ladite rue saint Jean suivant l’alignement et devis qui a été fait double par Vallon Architecte en présence et du consentement tant desdites dames religieuses, que desdits consuls et assesseurs ». La maison des Saurat, encore mal documentée à ce jour, se voit donc refondue dans les projets nouveaux des carmélites dont la conduite est assurée par Laurent Vallon, architecte aixois de renom que l’on retrouve dans une grande partie des chantiers du quartier Mazarin et de la ville d’Aixlxviii.
La volonté de créer des boutiques et des logements de rapport dans des bâtiments adjacents est déjà mentionnée dans la documentation consultée. Cette pratique immobilière, fort répandue dans le rapport des communautés religieuses à leur patrimoine foncierlxix, est parfaitement confirmée dans le cas présent. La conduite de ce grand remaniement des bâtiments occupant la parcelle détenue par les carmélites présente toutefois une complexité manifeste de mise en œuvre. La description exhaustive des projets, tant lucratifs qu’esthétiques des carmélites ainsi que la morphologie d’une partie de l’édifice nous est connue précisément : « Les religieuses carmélites demandent qu’il leur soit permis de bastir des maisons dans l’espace qui est entre le perron de leur Eglise et leur maison arrentée à Couteron, allignant avec celles du Cours, en se conformant en tout à la règle que Messieurs les consuls et assesseurs voudront leur prescrire touchant l’étendue, la hauteur et la forme des édifices pour l’ornement et la décoration de la ville suivant la convention du 3 Juillet 1699, si mieux la communauté d’Aix n’aime leur rendre et restituer les eaux que les religieuses carmélites cèdèrent à la ville sous la condition expresse de cette faculté de batir. Cette demande est fondée sur les règles de la plus exacte justice et l’avantage public. Personne ne peut batir dans cet espace, parce qu’au dessous sont les caves des carmélites, pour la propriété desquelles elles ont les titres les plus formels et la possession la plus ancienne. On n’y pourrait batir des maisons sans en jetter les fondements dans ces caves ou personne ne peut avoir le droit de batir et de nuire à la propriété des carmélites. Cet espace est devenu un cloaque, un amas d’ordures qui nuit à cette place comme aux voutes des caves des religieuses et il importe au public que les villes soient ornées de maisons : « publici interest civitates ornari domibuslxx». D’autres utiles précisions se voient stipulées dans l’échange suivant : (…) ayant été convenu que tout le long dudit allignement appartenant audites dames religieuses, tant du coté de la rue Saint Jean que du coté du cours lesdites dames religieuses pour la décoration de la ville, et en considérant de laadite permission qui leur est donnée fairont batir des boutiques et logements au dessus d’icelles conformément au profil et élévation qui a en été pareillement fait double par ledit Vallon et en outre lesdites dames religieuses fairont combler les caves a elles appartenantes qui se trouveront en deca dudit nouvel alignement, afin que ladite communauté de cette ville d’Aix puisse si bon lui semble faire continuer audit endroit la petite allée du cours et y faire complanter des arbres jusqu’à ladite rue Saint Jean. Fait à Aix le 3 Juillet 1699 : D’Esparron ( ?) prévôt de l’église cathédrale de Toulon et supérieur des carmélites, sœur Marie Thérèse de Jésus Prieure, S. Marguerite du Saint Sacrement supérieure, sœur Mary des anges première dépositaire, sœur Thérèse de Saint Joseph troisième dépositaire, Gaillard assesseur d’Aixlxxi ».
Elles se garantissent également un accès à l’eau prodiguée par la nouvelle fontaine qui vient remplacer celle cédée à la ville. Le réseau d’adduction en eau et ainsi décrit : « Toutes les versures de ladite nouvelle fontaine appartiendront comme elles avaient toujours faits audites dames carmélites pour l’arrosage de leur jardinlxxii, et lesdits sieurs consuls les fairont conduire depuis le bassin de ladite fontaine jusques au-dedans de l’épaisseur de la muraille desdites dames pour un canal souterrain de maçonnerie d’un pan d’heuteur et de large bien bitumé et conditionné lequel canal lesdites dames entretiendront pour la conservation de leurs arrosages et moyennant ce que dessus. A Aix, le 12 novembre 1697 Signé Barrême supérieure, Sœur Marie Thérèse de Jésus prieure, sœur Marguerite du Saint Sacrement soupérieurelxxiii, sœur Agnès de l’incarnation, première dépositaire, sœur Mary des Anges, seconde dépositaire. Artignosc et Grassy consuls d’Aixlxxiv ». On remarquera de surcroît que la mention « Sœur Marguerite du Saint Sacrement » est conforme à l’identité d’une religieuse dont une stèle funéraire est aujourd’hui accrochée au Mur Est du cloître, après y avoir été exhumée. On y lit encore aujourd’hui : « Cy gist Sr Marg(te) du St Sacrem(t) professe de notre couvent de Macon dou elle venue en celuy sy exercer la charge de souperieure. Y est decedée le 21 de septembre 1702 agée environ de 59 et de religion 31 ». Cette inscription révèle la grande mobilité des religieuses carmélites d’un couvent à l’autre et l’ampleur des réseaux qui alimentent la communauté d’Aix-en-Provence, dont le recrutement est avant tout locallxxv.
En 1752, les carmélites souhaitent encore lotir une parcelle pour y ériger boutiques, mais elles subissent une fin de non recevoir : « Monsieur l’assesseur a dit que les religieuses carmélites de cette ville s’étant adressées à M ; les consuls d’Aix pour qu’il leur fut permis de batir des maisons dans le terrain désigné dans le procès verbal et rapport des 30 juillet et 1er aout 1720 et qui fait partie de la place vis-à-vis la place et le couvent des dames carmélites, lesdits seigneurs et consuls leurs demandèrent leurs prétendus titres de propriété dudit terrain les dites religieuses ne leur fournirent aucun titre valable, elles allèguèrent un procès verbal de Maitre Reynaud, Trésorier Général de France fait à leur requisition le 3à Juillet 1720 et lors duquel le sieur assesseur d’alors consentit à la permission demandée par lesdites religieuses de batir et construire des boutiques et maisons dans le terrain dont il s’agit mais il paroit par le meme procès verbal que M. Devergis avocat au Parlement ayant comparu soutint que cette place devait être conservée pour l’utilité de la ville et au cas qu’on voulut en aboandonner une partie il en offrit la somme de mille livres en billets de la banque royale (…) la place dont il s’agit est publique, l’état des lieux et la possession sont en faveur de la communauté d’Aix, il n’est pas à présumer originellement que les religieuses carmélites eussent abandonné cet espace au public, s’il avait été eu leur domaine et possession la communauté d’Aix y a mesme fait construire depuis la dernière guerre un logement pour les corps de garde et l’on a trouvé la preuve que quand les religieuses carmélites voulurent faire construire l’escalier pour monter à leur église ou chapelle, elles en obtinrent la permission du bureau des Trésoriers de France comme étant cet escalier dans les régales quant au consentement donné par le sieur assesseur dans le procès verbal du 30 Juillet 1720. (…) Cependant l’économe des religieuses carmélites a présenté une requête à Messieurs les Trésoriers Généraux de France le 17 juillet 1750 par laquelle il demande qu’il lui sera permis de construire des maisons au terrain et dans l’alignement désigné dudit procès verbal. (…) Sur quoy le conseil a délibéré que Messieurs les Consuls et Assesseurs contesteront ladite demande et en poursuivront le déboutementlxxvi ».
Le second mémoire conservé aux archives municipales stipule les enjeux du procès qui les oppose encore à la ville : « il faut qu’on leur rende leurs versures ou qu’on leur accorde a faculté de bâtir » et insiste sur le caractère profitable de la construction de bâtiments annexes à la place de ce terrain improbable et propice à l’insalubrité : « Elles ne prétendent point propriétaires du sol dont il s’agit, quoique leurs caves soient au-dessous, elles prétendent seulement que la communauté d’Aix ne s’oppose pas à ce qu’il leur soit permis de bâtir dans un terrain inutile, mal propre et mal séant, de faire un alignement qui tend à l’ornement de la place, en observant pour les édifices l’entendue, la hauteur et a forme que M. les consuls et assesseurs voudront leur prescrire pour la décoration et l’embellissement de la ville ». On remarquera que les termes de « décoration », « embellissement » et « ornement » témoignent d’une véritable prise en compte esthétique du devenir de l’actuelle place Forbin.
Enfin, dans un autre mémoire non daté, on peut lire une adresse où il est dressé un état des lieux particulièrement précis visant à sortir de cette situation par un art de la négociation des plus habiles : « par tous ces moyens les carmélites espèrent de l’équité de Messieurs les consuls et assesseurs et du conseil de la communauté d’Aix qu’on ne leur ravira point la faculté de bâtir sur le sol dont il s’agit qu’elles ont acquises a titre si onéreux et par la cession des eaux de leur fontaine il n’en coute rien à la communauté d’Aix et l’on détruit un cloaque qui choque la vue, répand de mauvaises odeurs et nuit aux caves des carmélites, l’on procure des embellissements à la ville (…). Elles sont bien éloignées de vouloir plaider contre la communauté d’Aix mais elles attendent des lumières et la sagesse de ses administrateurs tout la justice qu’elles ont droit de se promettre, et elles ne cesseront de prier Dieu pour la prospérité de la ville d’Aix et de ses administrateurs ».
Etat des lieux : une architecture et des décors complexes
Le couvent des carmélites offre une morphologie complexe liée à l’ampleur du programme architectural mais aussi au caractère évolutif des campagnes de travaux qui y ont été menées. Son cloître présente des analogies manifestes avec le carmel d’Arles, mais la disparition du cimetière des carmélites qui ornait son centre au profit d’un nouveau tracélxxvii ainsi que le badigeonnage des façades ne permettent pas une lecture archéologique satisfaisante de l’ensemble pour l’instant. Sur la façade extérieure Sud prenant le jour sur l’actuelle rue Mazarine, une fenêtre à meneau, probablement attribuable à la campagne de travaux initiée autour de 1628, correspond aux appartements qu’Aymare de Forbin d’Oppède occupait.
Un plan du couvent, aujourd’hui conservé par les Oblats de Marie Immaculée, présente un intérêt exceptionnel. Daté de 1695 et intitulé « Plan Géométrique de l’enclos des dames carmélittes », est l’œuvre de Jacques Cundier, célèbre géomètre aixois que l’on retrouve autour de très nombreuses commandes architecturales dans le quartier Mazarin où il réside dans l’actuelle rue du Quatre Septembrelxxviii. Ce plan, dont la valeur historique est considérable, offre un aperçu de la répartition des bâtiments et de l’ampleur des jardins qui entouraient le couvent, dans le prolongement de la rue Mazarine. Les conditions de réalisation de ce plan nous sont connues par une attestation dans la documentation conservée liée à Jacques Cundier, alors voyer de la villelxxix.
Il permet en outre de connaître une partie significative de la distribution intérieure du couvent mais aussi l’identité des particuliers qui résident dans son environnement immédiat, à l’instar des hôtels « Gassendy », « Perrin », et des maisons de « M. de Saint Lambert » et de « M. le Conseiller du Chafaud ». Le couvent présente dans son aile Ouest, du Nord au Sud, une cuisine, un « réfectoir », une « descharge » et la salle du « chapittre », tandis que l’aile Nord abrite une seule et même pièce dite « dortoir ». Côté Cours à Carosses, l’inscription « Cartier des tourières boulangères » indique l’affectation spécifique de cet espace prenant le jour sur le cours, mais aussi sur le Siècle…. Le cloître porte l’appellation de « petit jardin », très certainement par opposition aux jardins qui entourent le couvent au Sud et à l’Ouest.
Le cloître apparaît toutefois sur ce plan comme inachevé, alors que l’actuelle chapelle des carmélites présente la morphologie qu’elle possède aujourd’hui. Elle occupe une vaste parcelle figurée en rose et qui est légendée comme étant l’emplacement de la « maison de M. Aufan ». S’agit-il d’une maison et d’un jardin détruits au profit de la construction de la chapelle ? Nous pouvons volontiers le croire compte tenu de l’existence attestée d’un autre corps de bâtiments au Nord qui vient déborder sur l’actuelle rue d’Italie. Or, ce bâtiment, aujourd’hui disparu, correspondrait à l’emplacement du couvent primitif, partiellement détruit, comme en attesterait cette mention : « qu’elles puissent avancer le perron de leur nouvelle église et bâtiment jusques a l’alignement des maisons des sieurs Perrin et Gassendy et des autres maisons que lesdites dames religieuses ont et possèdent vers l’endroit ou était la vieille fontaine lequel alignement sera tiré jusques au nouveau coin que lesdites religieuses feront faire sur la ligne de la fassade tant du côté du Cours que la rue Saint jean en faisant abbatre le coin de leur entienne maison quy est vis-à-vis la chapelle Notre Dame d’Ambrun pour l’agrandissement de la rue Saint jean suivant le devis quy en a esté fait (…). Signé révérende mère Marie Thérèse de Jésus prieure etc….lxxx ». Ces efforts d’alignement et de reconfiguration du couvent apparaissent donc comme intimement liés à la politique urbaine menée par les consuls de la ville d’Aix et aux modalités édictées par ces derniers. Si nous partons du principe que le plan de Cundier n’omet aucun aspect du couvent en 1692, cela nous indique que les ailes Sud et Est du cloître visibles aujourd’hui ont été aménagées en même temps que la construction de la chapelle que nous connaissons. Cette hypothèse n’est toutefois pas certaine car non seulement les galeries semblent s’effacer au profit de la matérialisation de la propriété voisine disparue, mais en plus cela impliquerait un cloître qui n’aurait été formé que de deux ailes en équerre jusqu’en 1692. La vente du couvent comme bien national, les transformations irréversibles apportées au XIXe siècle ainsi que la récente remise aux normes de l’édifice ont porté un préjudice certain à la compréhension de cet ensemble monumental dont la lecture apparaît comme difficile. Toutefois, plusieurs éléments architecturaux et décoratifs sont dignes d’intérêt.
D’un point de vue architectural d’une part, outre un ensemble complet de plafonds à la française du XVIIe siècle à poutres et à solives rapprochées qui couronne les galeries du cloître au rez-de-chaussée, deux poutres de la même période semblent avoir été remployées dans l’escalier principal du couvent afin de servir de soutien à ses paliers. Ces derniers présentent encore deux portes qui ont conservé leur boiserie de la seconde moitié du XVIIe siècle ainsi que leur poignée, tandis que dans ce même escalier un encadrement de porte en pierre de Bibémus dont nous retrouvons notamment un modèle comparable à l’hôtel Dugrou, 21, rue Roux-Alphéran à Aix, orne l’entrée du premier étage. Dans la galerie Ouest du Cloître au rez-de-chaussée, une niche dotée d’une coquille a été pratiquée dans le mur. Surmontée de l’inscription « Notre Dame des Victoires » incisée à même la pierre de manière maladroite, il nous est pour l’instant impossible de préciser sa datation, qui semble antérieure au XIXe siècle. Dans les actuels greniers du couvent, plusieurs éléments ont résisté aux changements d’affectations successifs. Une porte se voit encore surmontée de l’inscription « Ste Marie Madeleine », nom de la dédicace du couvent des carmélites, tandis que les fenêtres de cet étage ont pour la plupart d’entre-elles conservé leurs volets intérieurs datant de la seconde moitié du XVIIe siècle ou du premier quart du XVIIIe siècle.
D’un point de vue décoratif d’autre part, le couvent possède plusieurs ensembles peints qui n’ont pas subi le même sort que les décors peints de la chapelle, malheureusement décroutés en 1964. Le couvent peut notamment s’enorgueillir d’un exceptionnel ensemble de peintures polychromes. Attribuées à Trophime Bigot, peintre arlésien réputé dont l’œuvre demeure encore méconnuelxxxi, ces peintures décorent l’ensemble de la chambre à coucher d’Aymare de Castellane. Découvertes dans les années 1960, elles ont bénéficié d’une étude particulièrement poussée par Marie-Christine Gloton qui nous a aidés à identifier non seulement l’artiste, mais aussi les différentes étapes du programme peint. Datées de 1641, ces peintures à l’huile offrent un panorama saisissant de la vie de Marie-Madeleine à travers un corpus de cartouches entrecoupés de mascarons et de colonnes où les aspects les plus significatifs de la vie de la sainte pénitente sont représentés. La dévotion pour Marie-Madeleine qu’Aymare de Forbin d’Oppède entretenait n’y est certainement pas étrangère. Nous rappellerons pour notre part que non seulement le couvent avait été placé dès 1625 sous le vocable Marie-Madeleinelxxxii, mais qu’en plus l’une des filles de cette dernière porte ce prénom. L’attribution à Trophime Bigot peut se voir confortée de surcroît par l’existence dans l’église paroissiale d’Eguilles d’un tableau de Trophime Bigot provenant des collections de Madeleine de Forbin d’Oppède (1630-1671), épouse de Vincent Boyer d’Eguilles (1618-1659), et commanditaire de l’hôtel Boyer d’Eguilles à Aix mais aussi du château d’Eguilles. Grâce à sa fortune personnelle et au patrimoine de son époux, elle sera à la tête d’une abondante et prestigieuse collection de tableaux et d’œuvres d’Art. Une remarquable tête de Christ, peinte par Guido Reni et gravée par Coelemans en 1696, est ainsi attestée dans ses collections et a été reproduite en gravurelxxxiii. Aujourd’hui mutilé, ce prodigieux cycle de peintures n’est hélas plus accessible compte tenu du redécoupage récent des bâtiments qui a privé le couvent des Oblats de cette pièce historique majeure au profit de la résidence adjacente. Classé au titre des Monuments Historiques, cet ensemble méconnu est pourtant l’une des manifestations les plus spectaculaires des commandes artistiques des Forbin d’Oppède.
Au premier étage de la galerie Sud du couvent, à l’extrémité des appartements occupés par la prieure, un décor plafonnant de très belle facture subsiste. Longtemps attribué à Jean Daret sans grande certitude, le plafond voussuré de la galerie offre un ciel baroque où Dieu sous les traits d’un vieillard barbu descend du ciel avec le concours de deux anges au centre d’un oculus couronné d’une épaisse tresse de végétaux. Soutenu par les bras d’atlantes et de cariatides légèrement vêtus, cet oculus architecturé aux savants effets de perspective est agrémenté d’une série de bustes antiquisants, de bouquets multicolores et de corbeilles de végétaux dont la vocation paraît tout naturellement symbolique. Cette composition soignée repose sur une série de chapiteaux qui semble indiquer l’existence de colonnes, aujourd’hui noyées sous les multiples couches de peinture qui sont venues recouvrir les murs adjacents. Le ciel baroque ne semble toutefois pas avoir recouvert l’intégralité de la galerie dans la mesure où une colombe incarnant le Saint Esprit apparaît à l’extrémité du décor, signifiant peut-être l’emplacement d’un autel. S’agit-il d’un ancien oratoire attenant à une cellule ?
En effet, ce décor particulièrement élaboré se rapproche plutôt, par son caractère fastueux et partiellement profane, des décors que l’on trouve plus volontiers dans certaines chambres de parade et ensembles résidentiels civils du XVIIe siècle. Nous penserons ici notamment à l’une des chambres de l’hôtel Ricard de Brégançon, situé rue Thiers, dont les peintures présentent non seulement des analogies stylistiques évidentes, mais aussi la signature du même commanditaire. Le décor conservé dans cette galerie du couvent des carmélites présente en effet les armoiries alliées des familles de Piolenc et Ricard de Brégançon. Or, un examen de la généalogie de ces deux familles permet de dater le mariage de Jules de Ricard de Brégançon (1640-1717) avec Louise de Piolenc en 1661. Ce décor a-t-il été réalisé pour cette occasion ? Madame de Brégançon se serait-elle retirée dans le couvent une fois veuve ? L’une de leurs filles aurait-elle pris l’habit dans le couvent ? S’agit-il simplement d’une commande consacrée à l’embellissement du couvent ? Il peut sembler étonnant de trouver les armoiries d’un couple dans un couvent de carmélites. On signalera que les Piolenc sont intimement liés aux Forbin d’Oppède dans ces bornes chronologiques : Marie-Madeleine de Forbin d’Oppède (°1655) épouse notamment en 1673 François de Piolenc (1654-1688), beau-frère du Marquis de Ricard-Brégancon. Une telle hypothèse n’exclut par ailleurs pas l’intervention de Jean Daret mais n’est pas suffisante dans l’état actuel de la recherche. Une campagne de sondages sur les murs que surmonte ce ciel baroque permettra peut-être à l’avenir, faute de documentation sur ce programme, d’apporter une meilleure datation et des pistes d’identification plus poussées.
Un ensemble de niches retiendra enfin notre attention. L’escalier menant à la chambre dite « de fondation » offre une niche cintrée dont quelques décors polychromes apparaissaient il y a quelques années sous les éclats de peinture. Un décroûtage permettra probablement à l’avenir de connaître la nature du programme qui la décore. Dans l’antichambre de cette salle, primitivement infirmerie pour les religieuses carméliteslxxxiv, une autre niche a entièrement conservé son décor peint, ou l’ensemble des instruments de la passion sont habilement représentés. Une tradition orale encore vivace fait de cette niche un ex-voto que les carmélites auraient fait réaliser, suite à la funeste épidémie de peste de 1720 qui épargna visiblement le carmel.
Athénais d’Olivary (1802-1881) : une prieure d’exception, trait d’union entre les Oblats et le nouveau carmel d’Aix
Les relations entre les carmélites d’Aix et la communauté des missionnaires de Provence ont jusqu’à présent toujours été considérées comme lointaines compte tenu des trois décennies qui séparent la dissolution du carmel d’Aixlxxxv de l’arrivée d’Eugène de Mazenod dans les locaux en 1816 alors que l’édifice avait été reconverti en pensionnat de jeunes filleslxxxvi. Or, nos recherches nous prouvent qu’il existe un caractère de continuité véritable entre la communauté primitive et les récents missionnaires. Ces dernières se sont vues incarnées de façon privilégiée par la figure d’Athénaïs d’Olivary, médiatrice religieuse et acteur historique que nous pouvons volontiers qualifier de « transversal ». Prieure du carmel d’Aix pendant la seconde moitié du XIXe siècle, elle apparaît comme un personnage particulièrement méconnu aujourd’hui, alors qu’elle est à l’origine d’une bibliographie abondante, marquée par la publication de cinq moislxxxvii, de sept retraiteslxxxviii et de trois « Pensées », dont deux consacrées aux charges de prieurelxxxix et de maîtresse des novicesxc. Ses ouvrages éclairent l’univers carmélitain à Aix au XIXe siècle, à l’aune des siècles passés et d’une pratique religieuse communautaire. La profondeur historiographique du couvent est déjà considérée comme importante par cette dernière puisqu’il est fait référence à Aymare de Castellane dans ses Mémoires où l’on juge bon de rappeler que « Le cloître qui l’abrita (il est ici question de la Mère Athénais d’Olivary) doit son existence à la dévotion singulière qu’avait pour l’amante de Jésus une noble dame de Provence, Madame de Forbin d’Oppède, née Aymare de Castellane, qui tint à honneur de fonder deux carmels, dont l’un à Marseille, sous le nom de Sainte Madeleine au Pied de la Croix, et l’autre, à Aix, sous le titre de Madeleine au Désertxci ». La conscience et le caractère vivace du souvenir de la fondation du couvent au XVIIe siècle témoignent de l’intérêt manifesté par les carmélites d’Aix pour leur héritage historique. Cet héritage s’entremêle avec celui des Oblats si l’on prend en considération la proximité renouvelée qui unit les religieuses aixoises avec les Missionnaires de Provence.
Athénaïs d’Olivary a entretenu des relations privilégiées avec de grandes figures oblates en parallèle de la refonte et de la reconstruction du carmel d’Aix. La croissance de la communauté oblate d’Aix semble avoir été concomitante avec la progressive renaissance des carmélites, et la prieure du carmel d’Aix semble y avoir tenu une place essentielle. A cet égard, les Mémoires d’Athénaïs d’Olivary, rédigées partiellement par ses sœurs à sa mort, rendent compte des relations poussées qui unissaient cette dernière à Hippolyte Guibert, Oblat aixois dont la carrière ecclésiastique sera aussi brillante que célèbre : « C’est en se rappelant de cette époque bénie que l’évêque de Viviers, Monseigneur Guibert, celui-là même qui fit plus tard cardinal archevêque de Paris, écrivait à Athénaïs d’Olivaryxcii : Je n’ai pas oublié ces jours si éloignés de nous, où vous veniez si pieusement assister aux offices de la paroisse avec votre excellente et digne sœurxciii, trop prématurément enlevée à sa famille et à la religion. Les exemples de votre piété ont peut-être contribué à affermir ma vocation ecclésiastique. Je sais que dans mon jeune âge, j’étais fort touché en voyant votre si honorable famille, et vous particulièrement, montrer une si grande fidélité au service de Dieu.xciv ».
La figure d’Athénaïs d’Olivary apparaît d’autant plus liée aux Missionnaires de Provence qu’elle entretiendra toute sa vie une amitié particulièrement vivace avec Monseigneur Alexandre de Richery (1759-1831), prélat provençal qui sera pour elle un directeur spirituel incomparable et un protecteur fidèlexcv. Par sa carrière ecclésiastique particulièrement riche, il manifestera aux missionnaires réunis par Eugène de Mazenod un intérêt sans faille. Nommé évêque de Fréjus-Toulon dès 1817 après avoir été présenté à Louis XVIII, deux siècles et demi après Louis de Forbin d’Oppède, il ne fut sacré que le 20 juillet 1823xcvi dans l’église des Missions Etrangères, à Paris, par le neveu de son prédécesseur, Mgr Pierre-François de Bausset-Roquefort, archevêque d’Aix, assisté de Mgr François-Antoine Arbaud, évêque de Gap et de Fortuné de Mazenod, évêque de Marseille et oncle d’Eugène qui venaient tous les deux d’être consacrés le 6 juillet dans la même cérémoniexcvii.
Alexandre de Richery favorisera dès son arrivée la réouverture du séminaire de Fréjus fondé en 1677 par Mgr de Clermont-Tonnerre et fermé à la Révolution. Dès 1823, il en confie la direction à l’abbé Fréjus Maunier, l’un des premier compagnons d’Eugène de Mazenod, qui l’assumera jusqu’à sa mort en 1844. Ce même évêque procède à la reconstitution complète du chapitre détruit par les lois de 1789 et pour la renaissance duquel une autorisation royale lui est consentie en 1823. C’est ainsi que les abbés Maunier et Deblieu, figures incontournables des Missionnaires de Provence qui ont été mises à l’honneur pendant cette année de commémorations, se sont vus dotés de la charge de chanoines honoraires des mains de Monseigneur de Richery.
Outre cette toile tissée entre les carmélites, Athénaïs d’Olivary, Alexandre de Richery et les premiers Oblats de Marie, nos recherches nous ont permis il y a trois ans d’identifier une grande croix reliquaire fleurdelisée dont le socle arbore les armes épiscopales d’Alexandre de Richery. Elle fut offerte par Ovide d’Olivary, le père d’Athénaïs d’Olivary, à sa fille lors de son entrée au couvent. Ce souvenir rappelle la complicité spirituelle de cet évêque pour la carmélite que fut la jeune Athénaïs. Conservée dans le trésor liturgique de la communauté des Oblats de Marie d’Aix, une étiquette cachée dans son socle explicite les conditions de transmission de ce reliquaire qui abrite un fragment de la Vraie Croix. Jusqu’à la mort de Monseigneur de Richeryxcviii, nous savons qu’Athénaïs d’Olivary entretiendra des relations épistolaires nourries qui associent ainsi l’une des figures de proue du carmel d’Aix à l’évolution des Missionnaires de Provence et la reconstruction de l’Eglise de Provence, si durement touchée par la tourmente révolutionnaire.
Enfin, nous rappellerons que c’est à Athénaïs d’Olivary que l’on doit le dernier carmel d’Aix-en-Provence, fondé en 1857. A l’image d’Aymare de Castellane, Athénaïs d’Olivary a été la fondatrice de la dernière implantation de la congrégation à Aix avant sa dissolution : « De concert avec Monseigneur d’Arcimoles qui pensait à construire un petit Séminaire, elle fit l’acquisition d’un vaste terrain, situé à l’Est de la ville, sur une petite hauteur, et merveilleusement propre à recevoir un carmel, car c’était un quartier isolé où les agréments de la campagne pouvaient se rencontrer avec les avantages de la ville, sans en avoir les inconvénientsxcix ». Ironie du sort, le nouveau couvent se voit en partie financé par la vente de terres agricoles situées autour de la bastide de la Valette, aux Milles (13), terrains acquis par Ovide d’Olivary aux Forbin d’Oppède et qu’Athénaïs d’Olivary possédait depuis le partage de succession de son pèrec.
La presse de l’époque salue la construction de l’édifice – dont on notera que le cloître présente des analogies architecturales évidentes avec le carmel du Cours Mirabeau – mais aussi un environnement plus propice que le carmel provisoire qui avait été installé rue du Bon Pasteur – nous ne serons plus à une coïncidence près – en face de l’hôtel primitif des Forbin Maynier d’Oppède où Aymare de Castellane avait passé ses premières années de femme mariée : « Le monastère des Carmélites, d’un style plus simple et plus sévère (que le petit séminaire), élève à côté, ses murailles qui sépareront la vie cloîtrée de la vie du monde. Mais cette enceinte, inaccessible aux regards, une fois franchie, on trouve dans la maison religieuse toutes les dispositions du goût moderne qu’on a pu concilier avec les rigueurs de la règle monastique. Le cloître, avec son rang d’arcades, entoure une cour vaste et bien orientée. L’église est d’une coupe élégante, dans sa simplicité, les réfectoires, ouvroirs, cellules, enfin toutes les divisions du couvent sont bien distribuées et convenablement exposées pour la circulation de l’air et de la lumière. Les recluses trouveront dans leur retraite toutes les coditions hygiéniques dont elles étaient privées à la rue du Bon- Pasteur, et le vaste jardin leur donnera, aux portes de la ville, la salubrité de la campagneci ».
Deux siècles et demi après la fondation du premier carmel d’Aix, la prise de possession du nouveau couvent donne lieu à une procession aussi triomphale que celle qui voyait naître la présence carmélitaine à Aix au XVIIe siècle : « Les Dames Carmélites quitteront, le 12, leur couvent de la rue du Bon-Pasteur, pour prendre possession du nouveau monastère qu’elles ont fait construire sur l’emplacement de l’ancien Jeu-de-Mail, derrière le Petit-Séminaire. La translation de ces religieuses se fera avec cérémonie, sous la présidence de Mgr. l’Archevêque. Le cortège partira processionnellement de la métropole à 5 heures précises du soircii ».
Autre signe probable d’une volonté de permanence entre les communautés qui se sont succédé dans les murs de l’ancien carmel, on constatera que la croix pectorale d’Athénaïs d’Olivaryciii présente une morphologie identique à celle des missionnaires de Provence. Une croix minimaliste en cuivre jaune enchâsse une croix de bois noir sur laquelle vient s’étendre un Christ lui aussi de cuivre jaune. Eugène de Mazenod s’est-il inspiré des croix pectorales des carmélites pour créer celles de sa communauté ? Une recherche mériterait d’être menée pour connaître l’origine de la croix oblate et ses éventuels modèles et en savoir ainsi plus long sur ce point.
La famille de Forbin, les Carmélites et les Oblats, témoins d’une fidélité renouvelée au XIXe siècle
Nous avons montré à plusieurs reprises que la famille de Forbin, et notamment la branche d’Oppède, avait entouré la communauté des carmélites d’Aix d’une attention et d’une fidélité constantes. Il serait pourtant bien abusif de borner notre étude aux XVIIe et XVIIIe siècles, car c’est en réalité jusqu’à son extinction que cette famille a entretenu des liens fondamentaux avec Saint Eugène de Mazenod et les Missionnaires de Provence.
Les collections de gravures et d’estampes de la communauté des Oblats d’Aix offrent à ce titre quelques éclairages fugitifs sur les liens qui unirent ces derniers au XIXe siècle. En premier lieu, une gravure représentant Monseigneur Charles de Forbin-Janson (1775-1843) rappelle les relations d’amitié qui unirent cet évêque provençal avec Eugène de Mazenod. Dans l’angle droit du portrait, une dédicace manuscrite de Théodore de Forbin-Janson, frère de l’évêque, signe la proximité qui lie la communauté des Oblats à la famille. En second lieu, le nom de Forbin-Janson figure également sur une gravure éditée lors de l’érection de la Croix de Mission d’Aix qui eut lieu avec le concours d’Eugène de Mazenod.
Les parcours et l’environnement social d’Eugène de Mazenod et de Charles de Janson sont particulièrement proches et répondent à des ambitions communesciv. Homme du Monde dans son jeune temps, Charles de Forbin-Janson s’affranchira du confort familial, dès 1808 de prometteuses fonctions au Conseil d’Etatcv, d’un hôtel particulier rue Saint-Guillaume à Paris et d’une domesticité abondantecvi pour intégrer le séminaire de Saint Sulpicecvii. Fondateur des Missions de France en 1814, il devient évêque de Nancy en 1824. Evêque partisan d’une pauvreté matérielle constante, il part pour l’Amérique en 1839, prêche au Canada dix-huit mois et assure plus d’une soixantaine de missions à travers le continent américaincviii. Des projets de missions en Chine dès 1841 et la fondation de l’Œuvre de la Sainte-Enfance en 1843 témoignent d’un élan missionnaire à vocation internationale qu’il partage avec Saint Eugène de Mazenod.
Nous savons grâce aux mémoires du dernier Marquis d’Oppède que Monseigneur de Forbin-Janson fréquentait chaque année le château de la Verdière (83), alors repris en main par les Forbin d’Oppède après avoir été saccagé pendant la tourmente révolutionnaire : « Cet état de misère dans l’aisance, n’empêcha pas ma famille de donner l’hospitalité à tous ses amis et parents. L’un d’eux y a laissé le plus précieux souvenir : c’est monseigneur de Forbin-Janson, évêque de Nancy. Ce bon prélat, plein de vivacité et de gaieté, faisait le charme de nos longues soirées dans ce vieux château ». Charles de Forbin vécut, à l’instar d’Eugène de Mazenod l’exil, suite au soutien financier manifeste que ses parents avaient offert à plusieurs projets d’évasion du roi et de la reine dans la prison du Templecix ».
Plusieurs lettres du Fondateur aujourd’hui conservées à la maison générale des Oblats de Marie Immaculée à Rome nous indiquent qu’Eugène de Mazenod fréquentait le château voisincx de Saint Martin de Pallières, château dont les Boisgelin étaient devenus propriétaires par alliance et où la sœur d’Eugène de Mazenod, entrée dans les rangs de cette famille, séjournait. Eugène de Mazenod a-t-il aussi fréquenté le château de la Verdière pour y saluer Charles de Janson ? Nous pouvons affirmer tout au plus que cette fidélité atteindra son point culminant au décès de Charles de Janson dans une bastide proche des Aygalades en 1843, mort dont nous savons que l’un des spectateurs immédiats est Eugène de Mazenod, alors évêque de Marseille : « Cette vie, pleine de dévouement et de charité, s’éteignit doucement dans les bras de son frère, le marquis de Forbin-Janson et de son ami Monseigneur de Mazenodcxi ».
Un épisode émouvant, lui aussi relaté par le dernier Marquis d’Oppède, nous a semblé particulièrement amusant. Parce qu’il éclaire l’amitié qui unissait Eugène de Mazenod, les Boisgelin et Charles de Forbin-Janson, nous jugeons pertinent de le reproduire ci-après : « Monseigneur de Forbin-Janson arrivant de Marseille quelques années avant sa mort, fut logé chez Monsieur l’évêque de Marseille. Là, une femme de charge s’étant aperçu que le linge de Monseigneur de Forbin-Janson était dans un état qui ne lui permettait plus de le raccommoder, elle alla trouver son évêque, à qui elle raconta la chose. Monseigneur de Mazenod, homme d’esprit et qui savait à quoi s’en tenir à l’égard de Monseigneur de Janson, voulut renouveler ses hardes ; mais, prévoyant un refus il eut recours à un stratagème. Il envoya sa nièce, Mademoiselle de Boisgelin, demander quarante francs à Monseigneur de Janson, pour un pauvre. Monseigneur, naturellement, consentit de très bonne grâce et de bon cœur. Quelques jours après, mademoiselle de Boisgelin retourna auprès de Monsieur de Janson, lui disant qu’elle venait apporter quarante francs de linge à ce pauvre, pour lequel elle avait sollicité sa compassion. Monseigneur de Janson, riant beaucoup, lui dit : « comment, j’avais fait le sacrifice de ces quarante francs ! ». Puis, allant trouver Monseigneur de Mazenod : « Ah ! dit-il, vous croyez, mon ami, qu’il ne me manque que cela ! » et, entrouvrant sa soutane, lui monte des vêtements en très mauvais étatcxii ».
Par ailleurs, Eugène de Mazenod et Charles de Forbin-Janson sont tous deux à l’origine de chapelles funéraires aux architectures très voisines. Assurément néogothiques comme l’étaient le château du Mont Valérien de Charles de Forbin-Janson et une partie du mobilier d’Eugène de Mazenodcxiii, les chapelles du cimetière de Picpus à Paris et du cimetière Saint Pierre d’Aix-en-Provence offrent une composition architecturale comparable et constituent le reflet des goûts artistiques similaires de ces deux prélats.
Les relations privilégiées qui unissent la famille de Forbin aux Carmélites d’Aix-en-Provence ne s’éteindront pas avec la dissolution du couvent. L’un des acteurs principaux de cette permanence est indéniablement le dernier Marquis d’Oppède, Palamède-Michel de Forbin (1816-1900). Outre le soin qu’il déploie pour mentionner dans la monographie du château de la Verdière les liens indéfectibles qui unissent sa famille au Carmel d’Aix et, comme nous venons de le voir, aux Oblats, il développe une véritable prise en compte « archéologique » du passé familial. Avec la même audace qui le verra sauver de la destruction les fenêtres de l’ancienne maison des Forbin dans le vieux Marseille pour orner la façade de la bibliothèque du château de Saint Marcel à Marseille où il réside et étudie une partie de l’annéecxiv, il se procurera plusieurs reliques familiales insignes à Aix. La période révolutionnaire ayant provoqué une dispersion d’une très grande partie du patrimoine familial, il achète à un ferrailleur une pierre de marbre blanc armoriée aux armes des Maynier d’Oppède qui ornait l’entrée de l’hôtel du même nom afin d’orner l’entrée du château de la Verdière où il entretient le souvenir de sa famillecxv. Il se procure également, dans des circonstances encore obscurescxvi, la pierre tombale d’Aymare de Castellane qui devait vraisemblablement se trouver au centre du cloître du couvent, dans le carré qui faisait office de nécropole pour les carmélites. La sépulture des Forbin d’Oppède du cimetière Saint Pierre d’Aixcxvii se voit surmontée de la stèle funéraire d’Aymare de Forbin d’Oppède, remployée au XIXe siècle afin d’être impérativement sauvée de l’oubli : « La pierre tumulaire sous laquelle reposait ses restes, a été retrouvée, ayant été brisée pendant la révolution. Elle a été déposée pieusement dans le cimetière d’Aix, près de la sépulture de la maison de Forbincxviii». Particulièrement érodée, elle est aujourd’hui majoritairement illisible. Nous avons pu l’identifier grâce aux précautions du dernier Marquis de Forbin d’Oppède qui a pris soin d’encadrer la stèle de deux inscriptions lapidaires. La première indique « Pierre tombale retrouvée dans le couvent des Carmélites où s’était retirée dame Aymare de Castellane-La Verdière, veuve de Vincent-Anne de Forbin d’Oppède, décédée en 1649 ». En pendant, une autre inscription d’apparence identique, aujourd’hui brisée en plusieurs morceaux suite à sa chute et déposée provisoirement sur le caveau indique « Sépulture placée sous la protection de ces trois vertueuses religieuses par le dernier membre de leur famille ». Cette émouvante adresse constitue un véritable écho à la dernière phrase qui couronne tragiquement la monographie du château de la Verdière : « Je lui dois de m’avoir fait revivre dans les souvenirs de ma première jeunesse condamnés, après moi, à être ensevelis dans l’oubli ». Acquise en 1853cxix, très probablement suite au décès de son père Sextiuscxx d’Oppède (1767-1853) la concession se distingue ainsi des nombreuses sépultures aristocratiques du cimetière aixois par le montage d’éléments anciens qu’elle présente.
Veuf peu après la publication de la monographie du château de la Verdière, Palamède de Forbin d’Oppède épousera Louise de Boisgelin (1864 – 1932). Cette alliance avec la petite nièce d’Eugène de Mazenod lie désormais le nom de Forbin d’Oppède aux Boisgelin et une fois de plus aux Oblats devenus dépositaires du couvent du Cours Mirabeau. Dans le discours qu’il prononce lors de ce second mariage, l’archevêque d’Aix en Provence, Monseigneur Fourcade, s’attache à la personnalité d’Eugène de Mazenod parce qu’il incarne un héritage pour les deux époux : « Ce n’est pas seulement au pied de son père et de sa mère, c’est à l’école même de son grandoncle Mgr de Mazenod, qui fut si éminemment un homme de Dieu et l’homme des pauvres, que Mademoiselle de Boisgelin a fait, dès son enfance, un incomparable apprentissage de toutes les saintes œuvrescxxi ». Cette alliance n’offrira toutefois aucune descendance au Marquis d’Oppède. Il prononcera en 1900 son dernier soupir dans le château de Saint Marcel, l’une des plus anciennes résidences de la Maison de Forbincxxii. Par ces relations pluriséculaires, la sixième génération descendant d’Aymare de Castellane, fondatrice du Carmel d’Aix s’éteignait ainsi, alliée à Eugène de Mazenod dont les disciples occupaient et occupent toujours l’édifice.
Plus généralement, le Cours Mirabeau reste à ce titre tout particulièrement attaché au souvenir de la famille de Forbin. Outre la place éponyme qui constitue désormais l’adresse du couvent des Oblats, le Cours possède sur le piédestal de la fontaine dite du Roi René un portrait de Palamède de Forbin, acteur essentiel de l’union de la Provence au Royaume de France. Par ailleurs, ce même cours Mirabeau apparaît sur le célèbre paravent de la Fête-Dieu de la ville d’Aix, témoignage insigne de cette fête religieuse de premier plan qui réunissait la capitale provençale et dont Palamède de Forbin d’Oppède était le propriétaire par sa mère, Henriette de Thomassin-Peynier (1789-1864) dont les armes ornent toujours les feuilles latérales. Aujourd’hui conservé au Musée du Vieil-Aix dont il constitue l’un des fleurons, ce paravent met en scène le couvent des Carmélites et les Carmélites elles-mêmes et son intérêt historique semble avoir été perçu dès le XIXe siècle, comme en témoigne l’adresse de l’historien local Roux-Alphéran : « peinture très remarquable par les figures et les costumes qu’elle représente, et qui mériterait d’être bien conservée dans un établissement public tel que la bibliothèque ou le musée de cette ville. Puisse l’honorable propriétairecxxiii exaucer à cet égard les vœux de ses concitoyens dont nous osons ici dire l’interprète !cxxiv »
Enfin, deux hôtels particuliers ayant appartenu à la famille ornent ce cours. Les Forbin-La Barben possèdent l’hôtel éponyme qu’ils tiennent des Milan-la Roquecxxv tandis que les Forbin d’Oppède rachètent en 1816 le n°44 du Cours, hôtel aujourd’hui baptisé « hôtel de Suffren », en hommage à la famille du célèbre bailli qui y séjournait au XVIIIe siècle. C’est dans cet hôtel, dont les décors intérieurs ont été considérablement remaniés sous la Restauration par les Forbin d’Oppède, que la dernière représentante de sa branche, Augustine de Forbin d’Oppède, s’éteindra en 1902, trois siècles après la naissance d’Aymare de Castellane sa bienheureuse aïeule, et près de quatre siècles après celle de Palamède de Forbin dit « le Grand » (1433-1508)cxxvi, dont l’habileté diplomatique attachera pour toujours le nom de Forbin à l’Histoire de Provencecxxvii. Sa notice nécrologique, rédigée par l’Abbé Challian, témoigne de la dévotion particulière et du zèle religieux que ce membre de la famille déploiera toute sa vie au service d’une charité active et d’un idéal éducatif patientcxxviii. Elle honorera les Oblats de Marie de nombreuses donations, comme en témoigne la mention : « Un don princier est discrètement déposé entre les mains des Petites Sœurs des Pauvre (…) les communautés des oblats ont connu les générosités de cette illustre chrétiennecxxix ». Elle sera également à l’origine d’une tentative – avortée – d’une mission perpétuelle à Oppède (Vaucluse) qu’elle souhaitait voir animée par les Oblats de Marie et pour laquelle le clergé diocésain formulera une désapprobation manifestecxxx. Elle rejoindra son frère et ses parents dans le caveau familial où elle repose toujours, à l’ombre de l’illustre stèle qui vit le repos éternel de la fondatrice du Carmel d’Aix et de ses filles.
C’est ainsi qu’Eugène de Mazenod, les Missionnaires de Provence puis les Oblats de Marie Immaculée, dans le sillage des anciennes Carmélites d’Aix-en-Provence, ont entretenu des liens aussi fondamentaux qu’indissociables avec la famille de Forbin sur plusieurs siècles. Ils sont, à l’aune de ce passé qui forme une toile complexe d’acteurs et d’ambitions, les dépositaires de cet héritage commun qui a fait d’Aix l’un des hauts lieux de la vie religieuse en Provencecxxxi. Sur les trois siècles de vie communautaire et pastorale qui ont renouvelé les lieux, les noms de Castellane, Forbin d’Oppède, Mazenod, Richery, Olivary, Maunier, Icard, Guibert, Boisgelin et bien d’autres encore ont été sans cesse liés par des relations d’amitié, de complicité, de dépendance et d’heureuses coïncidences, qui n’en sont peut-être pas….
Aujourd’hui, le nom de Forbin d’Oppède ne résonne hélas plus qu’à travers l’Histoire, la parure monumentale de la ville, et la place éponyme sur laquelle le couvent des Oblats prend le jour. Pourtant, ces sentiments de reconnaissance mêlés d’admiration pour les Carmélites et les Oblats furent les ultimes vœux que les dernières âmes de cette lignée manifestèrent ; l’un des derniers hommages qu’ils rendirent ici-bas à ces deux communautés religieuses aixoises qui ont en nos cœurs une promesse d’éternité. L’exhortation prononcée par l’archevêque d’Aix en 1885 à l’adresse du dernier Marquis de Forbin d’Oppède en était déjà le signe touchant : « En vous y consacrant de plus en plus ensemble (…) vous perpétuerez dans un même esprit et du même cœur les vertueuses traditions de vos glorieux ancêtres, et vous montrant ainsi les dignes héritiers de leurs exceptionnelles bénédictions, vous ajouterez sur la terre, comme dans le ciel, un nouveau fleuron à leur triple couronnecxxxii.
Alexandre MAHUE
i BARRES Maurice, La colline inspirée, éditions du Rocher, 2005, p. 3.
ii La publication de cet article au sein de la revue « Oblatio » été rendue possible par l’amitié et la bienveillance renouvelées que la communauté des Oblats de Marie d’Aix a bien voulu me réserver depuis plusieurs années. Grâces leurs soient rendues.
iii BOYER Jean, L’architecture religieuse à l’époque classique à Aix-en-Provence. Documents inédits, Aix-en-Provence, 1972, pp. 183-194.
iv GLOTON Jean-Jacques, Renaissance et Baroque à Aix-en- Provence. Recherches sur la culture architecturale dans le Midi de la France de la fin du XVe au début du XVIIIe siècle, Bibliothèque des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, fasc. 237, Rome 1979, 448 p.
v JESTAZ Bertrand, L’église des Carmélites d’Aix-en-Provence, Société Française d’Archéologie, extrait du Congrès du Pays d’Aix, 1988, pp. 121-128.
vi Archives du château de la Verdière (Var), Généalogie familiale par M.P de Forbin d’Oppède.
vii Archives de la famille de Castellane, château d’Esparron de Verdon, Contrat de mariage Castellane-La Verdière – Castellane-Esparron, liasse n°7.
viii MAHUE Alexandre, « La famille de Castellane et le château d’Esparron de Verdon au XVIIIe siècle », in Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, 2016, pp. 67-97.
ix Archives de la famille de Forbin d’Oppède, Notes de Palamède d’Oppède (1816-1900) sur Castellane-Bezaudun et sa descendance.
x Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt d’Aix, B 30.
xi Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Minutes du Notaire Vassal, 2 E 090 99 folios 243 et suivants, « Prisfaict pour Messire Pierre de Castellane seigneur de Saint Jullien, contre George Astrend ».
xii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 52.
xiii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 47.
xiv ALBANES (Chanoine), Inventaire analytique des titres de la maison de Forbin recueillis au château de Saint Marcel par le Marquis de Forbin d’Oppède, Imprimerie Marseillaise, 1900, p. 15 : « Contrat de mariage entre Vincent-Anne de Meynier, comte palatin, conseiller au Parlement de Provence, baron d’Oppède, lafare etc., fils de feu Jean de Forbin et de Claire de Pérussis ; et Aymare de Castellane, fille de Jean de Castellane, baron de la Verdière, et feu Marguerite, marquise de Castellane. Fait au château de la Verdière, notaire Gaspard Philip ». Voir aussi Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Insinuations de la Sénéchaussée de Marseille. Reg. 7, fol 5 v°.
xv Cette formule, signalée par Palamède de Forbin d’Oppède dans sa monographie de la Verdière (p. 46), est citée comme provenant d’un contrat de mariage passé chez Capus, notaire à la Verdière. Attesté dans le fonds d’archives de la famille de Forbin d’Oppède en 1880, cet acte a hélas disparu, comme une grande partie des documents d’archives qui se trouvaient dans les châteaux de la Verdière (83) et de Saint Marcel à Marseille (13).
xvi BOISGELIN (Marquis DE) et CLAPIERS Balthasar (DE), Chronologie des officiers des cours souveraines de Provence, Editions de la Société d’Etudes provençales, Aix-en-Provence, 1909, p. 6.
xvii ROUX-ALPHERAN Ambroise, Les rues d’Aix : Recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence, tome 2, Aix-en-Provence, Typographie Aubin, 1848, p. 459.
xviii CUBELLS Monique, La noblesse provençale du milieu du XVIIe siècle à la Révolution, Aix-en-Provence, Université de Provence, coll. « Le temps de l’histoire », 2002, p. 112.
xix Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, Insinuations de la Sénéchaussé d’Aix, Registre de 1637, folio 699 v°, contrat de mariage passé devant les notaires André Pellanchon et Mathieu Malherbe, de Cadenet et de la Verdière, au château de la Verdière, le 4 juillet 1637.
xx Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, Insinuations de la Sénéchaussée de Marseille, Registre 13 folio 551 v°, contrat passé à Aix-en-Provence le 25 juin 1638, « dans la maison de la dame d’Oppède », c’est-à-dire l’hôtel Maynier d’Oppède, dans l’actuelle rue Gaston de Saporta, devant les notaires Boniface Borilli et Jean-Robert Baudoin. Un portrait de Claire-Françoise de Forbin d’Oppède, Marquise de Bormes, peint par Joubert, se trouve actuellement dans les réserves du musée Granet sous le numéro d’inventaire 969.3.10.
xxi Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, Insinuations de la Sénéchaussée d’Aix, Registre de 1644 folio 368 v°, contrat passé à Aix-en-Provence le 10 avril 1644.
xxii BROGLIE Albert (DE), Malherbe, Paris, Hachette et cie, 1897, p. 7.
xxiii CELLES Jean (DE), Malherbe ; sa vie, son caractère, sa doctrine, Paris, Librairie académique Perrin, 1937.
xxiv Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, 11 E 79, Documents personnels de Jean-Baptiste de Covet, et de Lucrèce de Grasse, son épouse. – Testament de Lucrèce de Grasse (31 juillet 1632). – « Testament du dit Jean-Baptiste léguant entre autres à son fils, autre Jean-Baptiste une somme de 3 000 1. au-dessus de laquelle il n’aura rien à prétendre attendu sa folie et les frais que son père avait dû faire pour le tirer du procès criminel qu’on lui avait intenté pour le meurtre du fils de Malherbe auquel il avait pris part » (1635).
xxv Voir BRUNEL Georges, La Peinture française du XVIe au XVIIIe siècle, catalogue raisonné du Musée Calvet d’Avignon, Silvana Editoriale, Milan, 2015, p. 128. Un autre portrait du Président d’Oppède, jadis conservé dans les collections de la famille de Villeneuve-Bargemon et pourvu d’un fastueux cadre baroque de facture aixoise est aujourd’hui conservé dans les réserves du Musée Granet sous le numéro d’inventaire 2004.4.1.
xxvi Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, 27 F 16, Notices biographiques d’Henri de Forbin d’Oppède, par Félix Timon-David.
xxvii Archives du château de la Verdière, notice généalogique d’Henri de Forbin d’Oppède.
xxviii MAHUE Alexandre, « Le château de la Verdière, acteurs, enjeux historiques et évolutions architecturales », in Bulletin Historique du Patrimoine du Pays de Forcalquier, 2016.
xxix DAVERDY Pierre, Oraison funèbre d’Henri de Forbin d’Oppède, prononcée à Lambesc, le 20 novembre 1671, Marseille, 1889, p. 47.
xxx FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880.
xxxi La titulature complète de cet évêque, abbé commanditaire de plusieurs abbayes, apparaît sur une plaque de fondation en ardoise du Carmel de Toulon qui ornait la façade méridionale du château de la Verdière jusqu’en 2003. Dégradée par les intempéries, elle est aujourd’hui mise à l’abri par le propriétaire du château.
xxxii Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, 27 F 17, Lettre de Palamède de Forbin d’Oppède à Felix Timon-David, s.d (lettre lacunaire).
xxxiii MAHUE Alexandre, « Le château de la Verdière (…) op. cit,.
xxxiv Château de Versailles et de Trianon, Portrait de Vincent-Anne de Forbin d’Oppède, Inv.grav. LP 20.117.1. Le portrait gravé de Vincent-Anne de Forbin d’Oppède fait partie de la série de grands albums reliés contenant des portraits gravés et provenant du cabinet de gravures constitué par Louis-Philippe, duc d’Orléans puis roi des Français. La constitution des albums s’est étendue pendant plus de vingt-cinq ans et était conservée au Palais-Royal. Sur les 114 volumes dont on garde la trace, 75 sont aujourd’hui conservés à Versailles dont 65 seulement contiennent des gravures – près de 16 500. Cf. DELALEX Hélène, » La collection de portraits gravés de Louis-Philippe au château de Versailles « , Revue des Musées de France – Revue du Louvre, 2009.
xxxv Musée Calvet d’Avignon, Portrait d’Henri de Forbin-Maynier par Mignard (1657), Inv. 23625, Collection Marcel Puech. Don à la Fondation Calvet en 1986, huile sur toile, (122,5×100). A ce remarquable portrait s’ajoutent des portraits gravés officiels.
xxxvi Musée Calvet d’Avignon, « Portrait d’une femme âgée », Inv. 838.2, (0,745×0,58).
xxxvii Voir BRUNEL Georges, La Peinture française du XVIe au XVIIIe siècle, catalogue raisonné du Musée Calvet d’Avignon, Silvana Editoriale, Milan, 2015, pp. 86 et 87.
xxxviii RIS Clément (DE), Les Musées de Province, Tome 2, Jules Renouard, Paris, 1864, p. 147.
xxxix BRUNEL Georges, op. cit, à propos de la notice de Jacques Thuillier (Paris, Grand Palais1978-1979, cat n° 65), p. 86.
xl RIS Clément (DE) op. cit, p. 148.
xli FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 64.
xlii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 51.
xliii Bibliothèque municipale d’Avignon, MS 2397 folio 310. Elles porteront le nom de Sœur Thérèse de Jésus et d’Anne-Marie du Saint Sacrement.
xliv Archives du château de la Verdière, notice d’Aymare de Castellane.
xlv FORBIN DES ISSARTS Henri (DE), Les Forbin, Survol de six siècles, Aubanel, Avignon, 1976, p. 55.
xlvi EXPILLY (Abbé), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Joly, Avignon, 1762, p. 462.
xlvii Archives de la famille de Forbin d’Oppède, notes généalogiques concernant Accurse Maynier, par Palamède de Forbin d’Oppède.
xlviii Archives de la famille de Forbin des Issarts. Notice biographique de Claire de Perussis (1937).
xlix Musée Calvet d’Avignon, Portrait de Claire de Pérussis, Inv. 22791,
l FORBIN DES ISSARTS Françoise (DE), Les Entrées solennelles à Avignon et Carpentras (XVIe-XVIIIe siècles, Bibliothèque municipale d’Avignon, 1997, p. 10.
li Il s’agit d’Aymare de Forbin d’Oppède.
lii Il s’agit de la mère Thérèse de Jésus citée précédemment.
liii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 48.
liv Archives de la famille de Forbin d’Oppède, « Histoire de la ville d’Aix », s.d, anonyme.
lv Archives Municipales d’Aix-en-Provence, « Mémoire que les religieuses carmélites ont l’honneur de présenter à messieurs les consuls d’Aix et procureurs du pays ».
lvi Cette amusante coïncidence faisait de Francois Saurat (né en 1599), un « conseiller du Roi et receveur pour le Roi des drogueries ».
lvii Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt d’Aix, B 922.
lviii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 47.
lix Il s’agit de Vincent-Anne de Forbin d’Oppède (1579-1631) lx FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 47.
lxi D’ORLEANS-MONTPENSIER Anne-Marie-Louise, Mémoires de Mlle de Montpensier, Volume 3, Charpentier, Paris, p. 422.
lxii HOZIER Pierre (D’), Table contenant les provençaux illustres, Aix, 1667, p. 222.
lxiii CASTALDO Inès, Le Quartier Mazarin, habiter noblement à Aix-en-Provence, Le Temps de l’Histoire, Presses Universitaires de Provence, 2011, pp. 21 et 22.
lxiv Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt d’Aix-en-Provence, 67 H 1, « Achept d’une maison par les dames religieuses carmellittes au Sieur Laurens Saurat ».
lxv Archives communales d’Aix-en-Provence, FF 32 folio 43 : L’histoire des parcelles nous est connue par certains travaux initiés par le précédent propriétaire, à l’instar de la mention suivante : « M. (Claude) Saurat, secrétaire en la chancellerie près la prote Saint Jehan, a fait démolir une muraille quy se trouve au devant de la place de la porte saint Jehan ».
lxvi Archives Municipales d’Aix-en-Provence, BB140, folio 262.
lxvii Cet échange nous est connu par plusieurs mémoires rédigés au profit des carmélites : « Il donna également pouvoir et faculté auxdites dames religieuses de prendre l’eau qui avait été nouvellement trouvée dans un fonds et propriété lui appartenant, situé hors la ville et dans le fossé de la porte Saint Louis., et a ces fins de continuer le même fossé commencé et de le joindre à l’ancien conduit. Les religieuses carmélites jouirent de toutes ces eaux sans aucun trouble jusqu’en 1697 ou la ville ayant obtenu un arrêt de conseil qui obligeoit les différents corps et particuliers d’exhiber les titres en vertu desquels ils possédaient des eaux dans leurs maisons…) ». (…) « en effet lesdites dames religieuses prouvèrent par les actes les plus authentiques que les eaux de leur fontaine n’avaient jamais appartenu à la ville qu’elles les avaient achetées à M. Saurat, que celuy cy les avait acquis à plusieurs particuliers à prix d’argent et qu’il avait fait construire les aqueducs à ses frais et dépens, et qu’il avait cédé gratuitement trois tuyaux d’eau à la ville. A cette époque, Messieurs les Consuls d’Aix voulaient faire elever une nouvelle fontaine pour la décoration du Cours et trouvant que les eaux de la fontaine des carmélites placées contre leur muraille de cloture étaient favorables à l’éxécution de ce projet, sollicitèrent ledites dames religieuses de les céder à la ville qui, en échange, leur en suborgeroit d’autres ».
lxviii CASTALDO Inès, op. cit, p. 193, voir notice biographique de Laurent Vallon.
lxix GADY Alexandre, Les religieux et la construction immobilière à Paris au XVIIIe siècle, in CASTALDO Inès, op. cit, p. 72.
lxx Archives municipales d’Aix-en-Provence, GG 119.
lxxi Archives municipales d’Aix-en-Provence, DD 37, « Conseil tenu dans la grande sale de l’hôtel de ville le 28 décembre 1701 ». D’autres feuillets concernant les versures des fontaines du Cours, et notamment de la fontaine chaude, permettent de voir qu’il existait un droit de versure au profit du sieur Ricard de Brégancon qui partage sa fontaine avec les carmélites. Cette famille, nous le verrons ultérieurement, est intimement liée au couvent.
lxxii (…) « Les carmélites ont souffert un grand dommage par l’aliénation des eaux de leur fontaine et des versures de celle du cours. Elles manquent d’eau les trois quarts de l’année et encore plus dans l’été obligées à faire laver leurs lessives hors de leur maison, ce qui leur cause une incommodité et une plus grande dépense, oultre le grand préjudice que souffre leur jardin ».
lxxiii La stèle funéraire de cette religieuse a été exhumée dans le cloître et se trouve aujourd’hui accrochée au mur Est du cloître avec les autres pierres tombales exhumées.
lxxiv Archives municipales d’Aix-en-Provence, DD 37, « Arrosage et versure de la fontaine des Carmélites ».
lxxv CASTALDO Inès, op. cit, p. 114.
lxxvi Archives municipales d’Aix-en-Provence, BB110, « Conseil assemblé dans la grande sale de l’hôtel de Ville le 24 février 1752 ».
lxxvii Une gravure conservée dans les archives des Oblats de Marie représente le cloître pourvu en son centre d’un enclos ceinturé de grilles et où l’on aperçoit les stèles funéraires des religieuses.
lxxviii CASTALDO Inès, Le Quartier Mazarin, habiter noblement à Aix-en-Provence (XVIIe-XVIIIe siècles), Le temps de l’Histoire, Presses Universitaires de Provence, 2011, p. 42.
lxxix Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille, C 5220.
lxxx Archives Municipales d’Aix-en-Provence, BB140, folio 171 v°, « Convention avec les carmélites pour l’arrosage de leur enclos ».
lxxxi BENEZIT Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs : de tous les pays par un groupe d’écrivainsspécialistes français et étrangers, vol. 2, Paris, Gründ, 1999, page 49 lxxxii Archives du château des Issarts, Portefeuille d’Estampes, « Tête de Christ par Guido Reni gravée pour Madeleine de Forbin d’Oppède ». Nous remercions ici vivement Françoise de Forbin des Issarts qui a bien voulu nous adresser une copie de cette gravure.
lxxxiii Un exemplaire de cette estampe est aujourd’hui conservée dans les archives de la famille de Forbin des Issarts.
lxxxiv Archives des Oblats, couvent d’Aix-en-Provence.
lxxxv SERROU Robert et VALS Pierre, Le Carmel, Carmélites et Carmes, Éditions Horay, 1957, 208 p.
lxxxvii OLIVARY Athénaïs (D’), Mois de Saint Joseph (10e édition), de Marie (8e édition), du Sacré Cœur (10e édition), du Précieux Sang (6e édition), de Sainte Thérèse (3e édition).
lxxxviii OLIVARY Athénaïs (D’), Retraites de dix jours (4e édition), de la pentecôte (4e édition), de dix jours, avant la profession (3e édition), de trois jours, avant la Vêture (3e édition), de dix jours sur l’Abandon (5e édition), de huit jours pour les sœurs tourières (2e édition), Trois petites retraites d’un jour pour les postulantes et les novices.
lxxxix OLIVARY Athénaïs (D’), « Sur la charge de Prieure », (2e édition).
xc OLIVARY Athénaïs (D’), « Sur la charge de Maîtresse des Novices », (2e édition).
xci CARMEL D’AIX, Vie de la Révérende Mère Marie de la Conception – Athénaïs d’Olivary par les religieuses de son monastère, Imp. Makaire, Aix-en-Provence, 1899, p. 18.
xcii CARMEL D’AIX, op. cit, p. 112.
xciii Il s’agit d’Olympe d’Olivary, née à Aix en 1798, propriétaire de l’hôtel éponyme rue du Quatre Septembre.
xciv Lettre datée du 11 juillet 1859, de Viviers, siège épiscopal dont H. Guibert était titulaire.
xcv Archives de la famille d’Olivary, Liasse consacrée à Athénaïs d’Olivary.
xcvi Un nœud diplomatique retarde son installation dans le diocèse. Un concordat, signé le 11 juin 1817 prévoyait le retour partiel à celui de Bologne et le rétablissement d’un certain nombre de sièges supprimés en 1801. La nouvelle circonscription ecclésiastique fut promulguée par la bulle Commissa divinitus le 27 juillet 1817 et le roi « nommait » le 8 août suivant toute une série de prélats dont Mgr de Richery au siège restauré de Fréjus, la confirmation romaine leur fut accordée au consistoire du 1e octobre. On s’aperçut toutefois que ce type de traité ne pouvait se passer d’être entériné par les Chambres à l’instar d’une loi aux conséquences administratives internes. Ce fut l’occasion de redonner de la voix à un gallicanisme qu’on avait peut-être cru trop tôt vaincu. L’affrontement entre Rome et Paris fit alors tout suspendre et Pie VII annonça le 23 août 1818 qu’il préférait en rester provisoirement aux termes du concordat de 1801. Il faudra de nouvelles négociations pour que le pape accorde à la France, le 6 octobre 1822, une trentaine de nouveaux sièges, avec la bulle Paternae charitatis publiée par l’ordonnance du 31 octobre suivant.
xcvii Archives de la famille d’Olivary, Notice biographique de Monseigneur de Richery (1887).
xcviii CARMEL D’AIX, Vie de la Révérende Mère Marie de la Conception – Athénaïs d’Olivary par les religieuses de son monastère, Imp. Makaire, Aix-en-Provence, 1899, p. 185.
xcix CARMEL D’AIX, Vie de la Révérende Mère Marie de la Conception – Athénaïs d’Olivary par les religieuses de son monastère, Imp. Makaire, Aix-en-Provence, 1899, p. 381.
c MAHUE Alexandre, Un hôtel particulier du grand siècle à Aix-en-Provence : l’hôtel d’Olivary, mémoire de maîtrise d’Histoire de l’Art sous la direction de Mireille Nys, Aix-Marseille Université, 2015.
ci Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, « Le Mémorial d’Aix », dimanche 2 décembre 1855.
cii Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, « Le Mémorial d’Aix », édition du 9 août 1857.
ciii Cette croix est aujourd’hui conservée par Madame Yves de Welle, propriétaire de l’hôtel d’Olivary.
civ On renverra nos lecteurs à l’article de Michel Courvoisier OMI consacré aux relations entre ces deux personnages.
cv FORBIN DES ISSARTS Henri (DE), Les Forbin, Survol de Six siècles, Aubanel, Avignon, 1976, p. 110.
cvi FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 120.
cvii Archives du château de la Barben, liasse des monographies et imprimés, Notice Biographique de Charles de Forbin-Janson.
cviii LESOURD Paul, Un grand cœur de missionnaire, Monseigneur de Forbin Janson (1785-1844), Flammarion, p. 33.
cix FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 119.
cx Les deux châteaux ne sont séparés que de sept kilomètres.
cxi FORBIN D’OPPEDE, Palamède (DE), ibid
cxii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie de la terre et du château de la Verdière et des familles qui l’ont successivement possédé sans interruption du Xe au XIXe siècle, Imp. Olive, Marseille, 1880, p. 124.
cxiii On pensera notamment au couvent d’Aix au prie-Dieu armorié du fondateur de la communauté actuellement conservé dans sa chambre-musée.
cxiv Archives de la famille de Forbin d’Oppède, Liasses de correspondance de Michel-Palamède de Forbin d’Oppède.
cxv Archives de la famille de Forbin d’Oppède, Correspondance de Michel-Palamède de Forbin d’Oppède, en vue de la rédaction de la Monographie du château de la Verdière.
cxvi Nous ne savons à qui Palamède de Forbin d’Oppède s’est adressé pour récupérer cette pierre tombale. Si la pierre tombale a quitté le couvent après 1816, un examen de la correspondance administrative des Missionnaires de Provence permettrait certainement d’en savoir plus long sur ce point.
cxviicxvii On sait que reposent dans ce caveau les restes mortels de Sextius, d’Augustin de Forbin d’Oppède et d’Henriette de Thomassin-Peynier, d’Augustine et de Palamède de Forbin d’Oppède. Plusieurs documents relatifs à la succession d’Augustin de Forbin d’Oppède aujourd’hui conservé dans le fonds de Sparre (Archives Départementales des Bouches-duRhône) éclairent les pratiques funéraires qui ont entouré ce caveau.
cxviii FORBIN D’OPPEDE Palamède (DE), Monographie op. cit, p. 52.
cxix Fiche de concession, cimetière Saint Pierre d’Aix-en-Provence, communiquée par Madame Martel en octobre 2015. Jugée en état d’abandon et promise à la destruction, la pierre tombale ne sera pas démantelée suite à un courrier que j’ai adressé à la municipalité appelant son attention sur l’intérêt patrimonial de cette sépulture.
cxx Né à Aix-en-Provence en 1767, alors que son propre père, Louis-Roch de Forbin d’Oppède était premier consul de la ville, Sextius de Forbin d’Oppède doit son prénom au parrainage symbolique qu’exerçait la ville d’Aix sur les premiers fils des consuls.
cxxi Allocution de Monseigneur l’Archevêque d’Aix pour le Mariage de Monsieur le Marquis de Forbin d’Oppède avec Mademoiselle Louise de Boisgelin célébré dans la chapelle de l’archevêché le 15 janvier 1885.
cxxii FORBIN DES ISSARTS Henri (DE), Les Forbin, Survol du Six siècles, Aubanel, Avignon, 1976.
cxxiii Il s’agit de Sextius de Forbin d’Oppède.
cxxiv ROUX ALPHERAN Ambroise, Les Rues d’Aix , ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence, Aubin, Aix-en-Provence, 1846, p. 74.
cxxv Archives du château de la Barben, « liasse consacrée à l’hôtel d’Aix ».
cxxvi Ces trois personnages s’éteignirent sur le Cours Mirabeau, à plusieurs siècles d’intervalle.
cxxvii MICHAUD Joseph-François et Louis-Gabriel, Biographie universelle ancienne et moderne ou histoire par ordre alphabétique, de la vie privée et publique de tous les hommes qui se sont distingués par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, Chez Michaud frères, 1820, p. 53.
cxxviii CHALLIAN (Abbé), A la Mémoire de Mademoiselle de Forbin d’Oppède, Aix-en-Provence, Pourcel, 1902.
cxxix Challian (Abbé), op. cit, p. 26.
cxxx Heckenroth Pierre, Oppède en Comtat Venaissin, 1992, p. 123.
cxxxi BERNOS Michel, « Des institutions religieuses au cœur de la cité », in revue V.M.F Aix et le pays aixois, juillet 2012, n°244, p. 64.
cxxxii Allocution de Monseigneur l’Archevêque d’Aix pour le Mariage de Monsieur le Marquis de Forbin d’Oppède avec Mademoiselle Louise de Boisgelin célébré dans la chapelle de l’archevêché le 15 janvier 1885, p. 4.